« En été 57, après un accident de voiture, je fus, durant trois mois, la proie de douleurs suffisamment désagréables pour que l’on me donnât quotidiennement un succédané de la morphine appelé le « 875 » (Palfium). Au bout de ces trois mois, j’étais suffisamment intoxiquée pour qu’un séjour dans une clinique spécialisée s’imposât. Ce fut un séjour rapide, mais au cours duquel j’écrivis ce journal que j’ai retrouvé l’autre jour. »

Cette présentation de Françoise Sagan elle-même ne peut être plus juste : une suite fragmentaire de textes, précédés du nom d’un jour, voilà ce qu’est Toxique.

Deux ajouts de taille : les illustrations de Bernard Buffet et une mise en page particulière transforment ce journal en objet d’art et mettent en valeur les réflexions, les tournures d’une Françoise Sagan aux prises avec une immobilité forcée.



De sa souffrance physique, peu de choses nous parviennent. Sa pudeur ou son élégance la retiennent d’en parler avec précision. Les tourments du manque, par contre, sont bien là, tout comme son inquiétude devant ce sentiment de perte de contrôle.

« Il paraît que ça va devenir plus difficile. Je le crois volontiers, j’étouffe depuis ce matin. Il faut, paraît-il, s’accrocher. L’esprit monte et descend entre deux crises, sans cesse. Décrocher le téléphone, garder cet air courageux, expliquer posément que décidément ce n’est pas supportable comme ça. Ils feront quelque chose, quelque chose qui retardera le moment où je partirai. Tout ce que je fais pour moi est contre moi, c’est assez épouvantable. »

Un mot revient, « l’ampoule », important comme l’est l’attente de sa venue, car c’est elle qui réduira les symptômes du manque et calmera le jeu.

« La seule solution est d’attendre que ce soit vraiment douloureux. Et non pas prodigieusement énervant comme maintenant. Je m’épie : je suis une bête qui épie une autre bête, au fond de moi. »

Ce que Françoise Sagan laisse échapper de ce séjour de désintoxication est tout à tour futile et grave, et passe de son envie de conduire de petits bolides (« Ce capot noir qui s’élançait, ce bruit confiant, amical, Jaguar un peu longues, Aston un peu lourdes, je m’ennuie de vous à périr, après avoir failli périr par vous »)
au constat d’une évidence, ou plutôt comme elle le dit d’une
« terrible constatation » :

« J’ai malgré moi, quoiqu’il arrive, la pensée ou l’écriture littéraire ».

Les dessins de Bernard Buffet accompagnent les textes et plus encore, le non-dit qui se cache derrière eux. Ils décrivent l’attente lancinante, la lassitude du corps, la solitude, la peur. Certains mots ou pans de phrases sont repris par le peintre, tracés avec la force de son trait noir reconnaissable, pointu, incisif.



Toxique opère une alliance réussie entre mots et dessins, les deux se complétant pour offrir le portrait cru d’une jeune femme lucide, étonnamment clairvoyante. À peine âgée de vingt-deux ans, elle voit ses peurs la tenailler : peur de la maladie, de la déchéance, de la perte, et la fuite du temps.

« Pour la dernière fois, je regarde, sans la voir, la grande pelouse, les arbres… il y a des centaines de gens qui, saisis d’angoisse, ou de drogue, les nerfs torturés, les regarderont, cet hiver, l’été prochain… »

Toxique de Françoise Sagan
Illustrations de Bernard Buffet
Aux éditions Stock
Parution en novembre 2009
Catégorie Littérature française

Une réponse "

  1. Renaud dit :

    Merci, Christine, c’était très bien à lire. « Je suis une bête qui épie une autre bête, au fond de moi » : dur.
    « Énervant », l’adjectif est déjà présent dans l’incipit de « Bonjour tristesse » : « Aujourd’hui quelque chose se replie sur moi comme une soie énervante et douce, et me sépare des autres. »
    Je me laisserais peut-être tenter du coup et j’espère ne pas devenir accro !

    ah, mais ce blog n’assure aucune garantie après-vente 🙂 Merci à vous Renaud d’être passé, et franchement, se laisser tenter par ce roman n’est pas une croix à porter !

  2. Sammy dit :

    Superbe présentation. Il faudra que je le lise. Surtout avec des dessins de Buffet, que j’aime beaucoup.

    PS : bonne année Kiki ! 🙂

    c’est vrai que ces dessins sont un plus (au départ je ne suis pas une inconditionnelle de Buffet mais la cohérence avec le texte est plus que réussie).
    PS itou aussi !

  3. Sébastien L dit :

    « un petit marivaudage avec moi-même »
    un joli texte, de très beaux dessins, j’ai beaucoup aimé. je viens d’en faire un article sur mon blog, si tu veux.
    a bientôt !

  4. […] de le rendre à la bibliothèque, je lis Toxique de Françoise Sagan, court journal de désintoxication. A un moment, elle écrit […]

Laisser un commentaire