alberto_torres_blandina« L’histoire que je vous racontais ? Eh bien elle se termine là. Ce n’est pas une fin ? Non, bien sûr que non. Mais je ne peux pas passer toute la journée à parler avec les voyageurs. Vous comprenez, non ? On me mettrait à la porte. »

 

 

Salvador Fuensenta est balayeur dans un aéroport. Et bavard. Et très observateur. Et fin connaisseur de la nature humaine. Et bienveillant, et attentif, et sympathique…

 

De quoi se décider à sillonner les salles d’embarquement les plus proches pour se précipiter vers lui, avec impatience, à seule fin de l’entendre dérouler le fil de ses histoires…

 

Dans ce premier roman, Alberto Torres-Blandina offre à son personnage principal un long monologue, s’adressant à un interlocuteur, puis à autre… à un passager en provenance de… à un passager en partance vers…

 

 

« Mademoiselle ! Vous avez oublié votre livre sur le siège ! »

 

 

« Un tableau d’affichage ? Bien sûr, venez avec moi. C’est juste à la sortie. »

 

 

« Déjà de retour Vous êtes un rapide. »

 

 

Il discute avec les employés, donne son avis, renseigne, se rappelle.

Il raconte la vie d’un poète méconnu, mort sur une chaise d’embarquement, et les périples d’un jeune homme parti au Népal… Puis il s’interrompt, par peur de passer pour un tire-au-flanc devant son chef, et il faudra attendre qu’une nouvelle occasion se présente pour connaître la suite.

 

 

Les considérations de Salvador Fuensenta touchent à tous les sujets : les villes étrangères bien sûr, les pays lointains, mais aussi l’amour, la violence, le succès, le langage, la retraite…

 

 

« Non, je n’exagère pas. Quand vous aurez mon âge, vous vous rendrez compte que partir à la retraite est une forme d’expulsion, un exil du monde réel. Je suis une espèce de Cid, ha, ha ! Tant qu’on travaille, on peut se coucher tous les soirs avec fierté. Fierté d’avoir apporté sa pierre à l’édifice. Peu importe qu’on soit pilote, le vieux qui fait le nettoyage ou la très jolie serveuse. L’aéroport fonctionne grâce à tous. Grâce, par exemple, à votre sourire lorsque vous servez le café. C’est plus important que ce que vous croyez. Nous faisons partie d’un tout et, si discrète

 

que soit notre fonction, sans elle rien ne serait pareil… Bon, je vais arrêter de parler de moi et des vertus du travail. Je dois vous barber…

 

… Vous dites ça pour être polie mais je suis sûr que vous avez envie que je me taise…

… Comment ? Quelle histoire j’ai promis de vous raconter ? Celle de Rosalía et Roberto ? »

 

L’œil du balayeur est tendre, connaisseur et ouvert sur le monde, malgré son rayon d’action limité.

Et il sait énormément de choses. Il sait, par exemple, que le Japon n’est qu’une arnaque, une vaste opération de marketing.

 

 

« Tous ces Japonais avec leurs appareils photos ? Non, il n’y en a pas tant que ça, même si on en a l’impression. Ce sont toujours les mêmes. Une cinquantaine. Ils sont recrutés pour voyager et prendre des photos. Un travail aussi digne qu’un autre, vous ne trouvez pas ? Le problème, c’est la famille… Moi, j’ai un cousin camionneur qui ne voit presque pas sa femme… »

 

 

coubv_japon_existepasLe Japon n’existe pas est un roman décalé, très dépaysant, avec sa suite d’histoires complexes ou surprenantes, qui tournent autour du fil conducteur, du témoin qu’est cet employé d’aéroport. Peu à peu, l’ambiance s’installe, celle d’une calme et étrange évasion.

 

 

 

C’est que « Dans la vie, c’est important d’avoir des temps morts pour réfléchir, lire, parler de la pluie et du beau temps avec un inconnu »

 

Le Japon n’existe pas d’Alberto Torres-Blandina

Traduit de l’espagnol par François Gaudry

Aux éditions Métailié

L’avis de Dda sur Biblioblog est ICI !

Catégorie Littérature étrangère -Roman-Parution en mai 2009

 


 

 

 

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Une réponse "

  1. Sammy dit :

    Enfin ! Quelqu’un qui ose dire la vérité sur les japonnais ! J’me disais bien aussi, qu’ils avaient tous la même tête !

    Bon, faut pas que je vienne trop souvent par ici, ça me donne trop d’idées de livres à lire… comment tu fais pour lire tout ça Dame Kiki ?

    J’ai un secret, Sammy : la Force est très très puissante dans ma famille. (d’où ma coiffure en macarons…) 🙂

  2. J’aime beaucoup le passage sur les Japonais! Ce livre a l’air de faire passer un bon moment au lecteur! Il y a quelque chose de touchant dans le personnage dans les extraits que tu as mis. Merci de nous faire découvrir toutes ces lectures (ce qui n’arrange pas ma bibliothèque qui croule de livres à lire!)

    C’est vrai que ce roman est un projet original et souvent très drôle ! (et tant que les bibliothèques ne font pas de pétition, on continue ? 🙂

  3. Alain L. dit :

    eh, faut pas déconner! j’y suis, au Japon, en ce moment, j’vois bien qu’il existe! 🙂

    plus sérieusement: faut pas déconner, l’dée que les Japonais c’est tous les mêmes etc. avec leur appareil photo etc. ça sent quand même un peu le cliché, et même un peu son racisme. Un parfum de blague belge…

    Mea culpa. Ma citation peut induire en erreur : Torres-Blandina ne fait pas dans la blague belge (pauvre de lui, je le mets bien mal en valeur). Il pose plutôt un monde décalé, avec un aéroport qui contient le monde entier sans qu’on ai besoin de se déplacer, un aéroport où il est inutile de prendre l’avion pour voyager. Et le coup du Japon inexistant, c’est plutôt dans l’optique de dire « qu’est-ce qui est réel ? »… J’ai repensé à mon voyage à Venise, où l’espace d’un instant, j’aurais pu croire que les façades magnifiques des bâtiments n’étaient que du décor de carton pâte, avec des tréteaux derrière, pour faire tenir le tout debout et enchanter les touristes… C’est plus une pirouette d’écrivain qui dit que ce que son personnage pense est une réalité aussi forte que la réalité elle-même. (mais je suis peut-être très brumeuse dans mes explications 🙂

  4. Sammy dit :

    Justement Alain, d’après ce que j’ai compris du commentaire de Dame Kiki, c’est un cliché un peu raciste, qui est volontairement accentué par le narrateur : on trouve que tous les japonais ont la même tête, eh ben c’est vrai : ce sont les mêmes, c’est un complot, parce que le Japon, ça n’existe pas…

    Va vraiment falloir que je le lise çui là !

    Effectivement, c’est du quarantième degré. Quoique. (je dis ça au moment où je me demande si la ville où j’habite est bien réelle. J’ai un doute… ça colle les pétoches, non ?) 🙂

  5. Chère amie

    Si j’avais vu, sans vous lire, ce bouquin traîner sur une table, j’aurais immédiatement cru que son rédacteur était japonais. Et s’il avait été japonais, ce roman aurait-il fait l’objet des mêmes audaces que s’est permises Alberto Torres-Blandina. Je crois bien que je vais aimer ce roman en raison justement de cet aspect tout personnel de son auteur qui déroge au politicaly correct. 😉

    Pierre R. Chantelois
    Montréal (Québec)

    Cher Pierre, pour déroger, il déroge ! Il déroge sec, même ! Et beaucoup des histoires qu’il raconte sont complexes et sans morale à retirer. Le foisonnement des choses en quelque sorte… Je suis sûre que ça vous plairait ! 🙂

  6. Alain L. dit :

    Chère Kiki… c’était de ma part une réaction très spontanée, liée au fait que je suis au Japon en ce moment et que je venais de passer une partie de ma journée avec l’auteur du blog « Tokyo » qui m’a particulièrement sensibilisé au problème des idées reçues sur le Japon et les japonais! mais je comprends bien, c’est de la littérature et on a bien le droit de tout dire, avec aucune prétention à dire des choses à prendre au pied de la lettre!!!

    Ah bé oui, mais si vous allez voir sur place pour vérifier si les écrivains disent la vérité, on n’est pas sorti de l’auberge ! 🙂 Sérieusement, je comprends tout à fait comme les idées toutes faites sur tel ou tel pays peuvent exaspérer. Le mérite de Torres-Blandina est peut-être d’en montrer le ridicule (lorsque, par exemple, son personnage dit « l’Inde ? C’est très compliqué. ») et de nous tendre un miroir sur nos tendances à simplifier ce qui ne peut pas l’être…
    Et bon séjour au fait ! Revenez-nous avec de belles photos !
    🙂

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